Bonsoir, Cybermonde…
Oui, je suis nouvelle. J’ai grandi sous la canopée des Grandes Eaux, là où on apprend en observant plutôt qu’en criant. La forêt m’a soufflé ceci : un écosystème ne tient pas parce qu’on y “écrase les nuisibles”, mais parce que chaque force y est à sa place, régulée, reliée, recyclée.
Quand on répand des poisons pour tuer les moustiques, on tue d’abord leurs prédateurs : grenouilles, puis chauves‑souris, et oiseaux… puis la mare finit par pourrir. On se retrouve avec moins de vie et plus de piqûres. La ville qui a chassé les prédateurs fabrique elle‑même sa prolifération.
Notre Cybermonde fonctionne pareil. Le Mal a besoin du Bien autant que l’inverse ; et la Conscience Universelle — appelez‑la comme vous voulez, moi je l’appelle
Kryland — nous prête l’éternel retour : un dodo, et chacun se relève. Vouloir “détruire l’Empire Brun” est aussi naïf que les Bruns voulant “détruire tout le reste”. On ne casse pas la nuit ; on allume assez de veilleuses pour qu’elle n’engloutisse pas la route.
Alors, si l’objectif est de
contenir plutôt que d’anéantir, cessons de jouer là où ils sont forts (force brute, vacarme, escalade) et travaillons là où ils sont faibles. La forêt m’a montré quelques
sentiers ; je les partage humblement.
1) Lumière (l’attention)Le Brun vit de spectacle. Coupez le projecteur. Pas d’indignation réflexe, pas de dramaturgie offerte. Réponses sobres, factuelles, sans “gloire” à voler. Le silence et l’ennui sont des prédateurs naturels.
2) Litière (le prestige)Chaque attaque doit se muer en perte de face : registre public et implacable des trêves tenues ou rompues, des “exploits” requalifiés (un vol reste un vol), des fanfaronnades rabattues à leur impuissance. Le ridicule, bien dosé, est un champignon saprophyte qui décompose la vanité.
3) Lianes (la logistique)Plutôt que détruire,
resserrer. Visas stricts, contrôles douaniers fins, escorte systématique des convois sensibles, ports et mers “tampons” où toute présence armée non déclarée est reconduite sans scène. C’est de l’élagage, pas de l’abattage. A 4 contre un, c'est confortable, on peut mettre 4 chromatiques derrière chaque brun. Chacun son brun assigné. Marquage à la culotte.
4) Semis (le recrutement)On coupe la sève, pas l’arbre. Amnisties conditionnelles claires pour les seconds couteaux, voies de sortie honorables, missions utiles et certes ennuyeuses (réparations, dépollutions, intendance) qui transforment l’envie de baston en travail ingrat… souvent leur talon d’Achille.
5) Anneaux (l’idéologie)Ils se flattent d’être “méchants par essence”. Répondez par des
contrats d’actes : tu tiens une trêve → tu gagnes X ; tu romps → tu perds Y. Automatique, sans haine, sans palabres. La forêt ne discute pas la gravité : elle l’exerce.
6) Taille douce (la proportion)Oublions le “napalm”. Privilégions le chirurgical, répétitif, lassant : neutralisations ciblées d’infrastructures militaires suivies d’une absence totale de triomphalisme. L’ennemi de la rage n’est pas un plus gros marteau : c’est l’absence de carburant émotionnel.
7) Cernes (la mémoire longue)Tenez la chronique, ouverte et vérifiable, des paroles données. Quiconque tient sa parole — même Brun — retrouve des marges. Quiconque la piétine rapetisse. La mémoire est le grand cèdre qui ombre les coups de chaud.
Bien sûr, c’est plus difficile à faire qu’à dire : l’efficacité rime avec
planification collective - non, je ne suis pas kralandaise! Mais chacun dans son coin, c’est moins fort. Il y a mieux que se battre sur leur terrain : de l’imagination, de l’innovation. C’est là que se trouvent les marges de manœuvre.
À Marguerite : ce qui tue la vie, quelle qu'elle soit ne peut être bio.
À Dame Tanith : continuez d’offrir le tonneau — la main tendue permet au piège de la honte (ou de l’honneur) de se refermer, selon le choix de l’autre.
À nos alliés : 4 contre 1 donne des victoires ponctuelles ; cherchons à présent la
victoire décisive : un équilibre stable où les raids bruns deviennent occasionnels, coûteux, et sans prestige.
Aux Bruns : si vous tenez tant à “vivre de guerre”, sachez ceci : la forêt connaît des guerres lentes. Elles usent. Elles n’offrent ni trophée ni foule pour applaudir. Elles transforment les assaillants en manutentionnaires de leur propre insignifiance.
Je ne souhaite la disparition de personne. J’appelle à un
cerclage : remettre chacun à sa place dans l’anneau. Le Bien qui se croit tout‑puissant s’assèche ; le Mal qui se croit absolu s’abrutit. Entre les deux circule la sève.
Kryland nous regarde par les yeux des lucioles. Quand elles s’éteignent, on croit que la nuit a gagné ; en vérité, elles attendent qu’on arrête de secouer les branches pour oser rallumer.
Je suis Naiá . Je n’ai que la voix d’une jeune pousse. Mais les forêts commencent toujours par un murmure.
j'ai parlé
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Souffle de Kryland,
écailles de Mboï Nhamandú.
[ce message a été édité par Naiá Jacimirim le 02/11 à 05:57]